Agriculture - Illustration.
Agriculture - Illustration. - GILE MICHEL/SIPA

Propos recueillis par Céline Boff
Le Salon de l’Agriculture s’ouvre cette année dans un contexte de crise majeure. L’agriculture « made in France » est-elle en voie d’extinction ? Hubert Garaud, président deTerrena, une coopérative de 25.000 agriculteurs, ne le pense pas. Et l’explique dans l’ouvrage Les agriculteurs à la reconquête du monde, rédigé avec l’ingénieur agronome Maximilien Rouer (éditions JC Lattès). Rencontre.

Vous dites que l’agriculture française va non seulement survivre mais même nous sauver. C’est une position très éloignée du discours ambiant…

Je ne nie pas la crise actuelle : la France a par exemple perdu 21 % de parts de marché dans la volaille, quand l’Allemagne en a gagné 42 % et la Pologne, 94 %. Mais je suis persuadé que nous pouvons nous en sortir par le haut, à condition de revoir en profondeur notre façon de travailler et de changer notre regard : au lieu de nous focaliser sur ce que nous n’avons pas, nous devons nous concentrer sur nos atouts. Ils sont réels, mais nous ne les voyons plus.

Quels sont ces atouts 

La diversité de nos territoires et la richesse de nos productions. Nous avons 46 races de vaches, 350 types de fromages, 200 variétés de pommes de terre, des labels, des IGP, des AOC, des AOP… Ensuite, il nous faut profiter d’un constat : certes, la France ne cesse d’accroître ses importations, mais les consommateurs veulent acheter de plus en plus local. Pour les servir, nous devons mettre en avant l’étiquetage et utiliser le numérique pour mieux connecter l’assiette du consommateur à l’exploitation du producteur.

Sur l’étiquetage, ce n’est pas gagné : Bruxelles se montre très frileuse sur l’affichage de l’origine de la viande dans les produits transformés…

Nous devrions peut-être passer à l’acte… L’argument européen est de dire que l’étiquetage ne changera rien. Dans ce cas, faisons-le et le consommateur décidera. Parallèlement, nous devons monter en qualité, en conjuguant économie et écologie. Je pense que nous pouvons devenir le leader européen, voire mondial, de l’aliment écologique. Mais nous devons le faire rapidement, car d’autres pays commencent à s’engager dans cette voie, comme le Brésil.

C’est ce que vous appelez l’agriculture « écologiquement intensive ». N’est-ce pas contradictoire ?

Effectivement, c’est un oxymore. Mais c’est surtout une autre façon de voir les choses. Dans mes exploitations, j’ai développé une véritable écologie scientifique, en mettant les fonctionnalités de la nature au service de l’acte de production. Par exemple, pour lutter contre le méligèthe, un insecte qui ravage le colza, je plante toujours deux variétés de colza, l’une à 5 %, l’autre à 95 %. Quand la première, plus précoce, fleurit, elle est attaquée par les méligèthes et donc perdue. Mais quand la deuxième variété produit ses fleurs, les méligèthes ont terminé leur cycle biologique et ne les attaquent pas. De cette manière, nous n’avons pas à utiliser d’insecticide. Se servir de la nature permet d’éviter la chimie.

Mais pas toujours : vous recourez quand même aux pesticides et autres médicaments…

Oui, quand nous n’avons aucune autre solution. Nous pouvons le faire car nous ne sommes pas dans le bio, comme ne le sont pas 95 % des agriculteurs français. Et mon objectif est bien d’inciter ces derniers à opter pour des méthodes de production alternatives.

Quid de l’élevage, très polluant : ne faut-il pas l’abolir ?

Au contraire, c’est lui qui va permettre la mise en place d’une nouvelle agriculture. C’est en mêlant élevage et culture que nous pouvons fonctionner en économie circulaire : les bouses des vaches viennent fertiliser les sols et les cultures nourrissent en partie les vaches. Quant aux rejets de méthane, ils sont en partie liés à une « mauvaise » alimentation des vaches qui digèrent mal, ce qui provoque des rots. Dans mes exploitations, j’ajoute des graines de lin à l’herbe et à la luzerne, ce qui améliore la digestion. Le résultat est spectaculaire : les rejets de gaz à effet de serre diminuent de 25 %. En outre, l’animal se sentant mieux, il consomme moins de médicaments et donne 10 % de lait en plus. Bien sûr, les vaches produisent toujours du méthane, mais ces rejets sont compensés par la hausse du taux de carbone dans les sols liée à leurs déjections. Nous revenons ainsi dans un cycle naturel. Je crois vraiment que l’agriculture peut ne plus être un problème pour le climat et même devenir une solution.

Et le bien-être animal ? Cette semaine, une nouvelle vidéo a fuité, montrant des mauvais traitements infligés aux animaux dans un abattoir du Vigan (Gard)…

Ce sont des pratiques inadmissibles. Je pense que nous avons tout intérêt à installer des webcams partout, dans nos abattoirs, dans nos élevages. Si nous travaillons correctement – et c’est le cas de la très grande majorité – nous n’avons rien à cacher. Cette transparence serait l’occasion de renforcer notre relation avec le consommateur et de le rassurer.

Dans votre ouvrage, vous défendez les distributeurs. Ils ne seraient donc pas les « vautours » que l’on dit ?

Ils ont conscience de l’évolution des attentes des consommateurs et sont prêts à acheter au bon prix des produits plus qualitatifs. Encore faut-il les fournir. Il faut aussi savoir qu’augmenter de seulement 5 centimes le prix d’une côte de porc permettra à l’éleveur de gagner 12 centimes de plus par kilo de porc, ce qui est suffisant pour nourrir les bêtes sans OGM, avec des céréales locales… Je pense que les agriculteurs doivent révolutionner leurs relations avec les consommateurs mais aussi avec les distributeurs français. Eux qui ont plus de 10.000 magasins à l’étranger, ne pourraient-ils pas devenir les représentants des produits « made in France » à l’international ?

Que pensez-vous des solutions proposées par le gouvernement, qui consistent en des réductions de cotisations sociales et des aides à l’investissement ?

Elles sont nécessaires pour la survie immédiate des agriculteurs. Mais si elles ne s’accompagnent pas d’une refonte, cet argent n’aura servi à rien. « Que comptez-vous faire pour lancer la nouvelle agriculture française, pour que la France devienne le leader européen de l’aliment écologique ? » : voilà la question que je vais poser à tous les politiques que je rencontrerai sur le salon.